Je confesse: j’ai une fascination pour les bouteilles.

Il fut un temps, ma consommation d’alcool était trop élevée. Pour me donner un visuel du problème (et m’inspirer à me calmer les osti d’nerfs), j’ai commencé à les conserver. Good news, je ne bois plus de rhum dès les premières heures du jour. Mais l’habitude de conserver ces réceptacles m’est restée. À force de les côtoyer, j’ai développé une affection pour leur forme, leur texture, leur manière de refléter la lumière…
Une phrase toute simple a commencé à siéger mon esprit:
I’m going to paint them.
Les bouteilles que j’accumule ont acquis une nouvelle fonction. De futurs canevas pour de futures narrations visuelles.
Mon intérêt à collectionner date de longtemps. Enfant, je ramassais pierres, feuilles et grandes branches lors des saisons chaudes. Ces petites choses devenaient des muses inanimées. Fast forward des années plus tard, quand j’ai adopté mon chien, mes promenades matinales se sont transformées en découverte de toutes les choses que mes voisins jettent. J’ai trouvé une luge fabriquée au Canada, une guitare avec son case de transport, des hauts de tables et des pattes de tables complètement différentes. Chaque fois reprenait de plus belle l’écho de la phrase toute simple m’inspirant à déverser ma peinture sur ces objets.
Nouvellement installé-e dans un atelier d’artiste, j’ai enfin l’espace pour me lancer dans ce travail de transformation. Un thème est rapidement devenu une évidence: le perfectionnisme pathologique.

Apparemment, l’anxiété de performance est un symptôme courant chez les personnes qui vivent avec un TDA (trouble déficitaire de l’attention). J’ai appris à la fin de ma vingtaine que je vivais avec ce trouble. Des facteurs sociétaux, culturels et situationnels ont une immense influence sur cette anxiété que je vis souvent comme un handicap. Les bouteilles me rappellent le perfectionnisme par leur fonction. Elles servent à préserver un liquide, ou bien un amas de choses qui, autrement, s’éparpillerait. Elles protègent du monde extérieur et du temps qui continue d’avancer. Elles gardent en place leurs trésors jusqu’à leur consommation. Elles peuvent veiller à cette mission pendant des décennies. Puis, une fois qu’elles ont comblé leur rôle, on les jette.
Le métier que j’ai choisi demande la combinaison de qualité et de livraison. Je peux bien passer des décennies à préserver un talent artistique, mais l’art sert à être consommé. Comme le vin sert à être bu. Cette année, j’exécute le souhait de ma petite voix intérieure et I’m painting them. C’est drôle, c’est comme si je devenais un génie sorti d’une…
La thématique s’étend aussi sur mes toiles et sculptures. Toutes mes productions d’art visuel partageront une histoire de bouteille.



Ce projet est à la fois thérapeutique et écologique. Ça m’attriste qu’on ait le réflexe de jeter et briser nos bouteilles. Heureusement qu’il y a le recyclage, mais je souhaite quand même explorer l’option de leur redonner une nouvelle mission: transmettre un récit, amener une valeur sentimentale aux personnes qui les hébergeront. Après tant de temps à préserver précieusement un consommable en leur sein, d’autres les préserveront comme des objets précieux.
Hopefully.
Ma réflexion va évoluer, je l’espère. Je garde des traces sur ce blog. L’autre objectif du projet est de travailler mon perfectionnisme en acceptant de faire des œuvres qui défient l’idée que j’ai tricottée d’un produit fini. C’est à ce niveau que ma pratique spirituelle joue son rôle. Me rappeler que je fais partie d’un tout m’enlève un poids sur les épaules. Ça peut sonner contre intuitif, mais ça prend beaucoup de répétition et de concentration pour lâcher prise. Terminé ne veut pas dire « parfait ». Rien n’est parfait. D’ailleurs, qu’est-ce que l’imparfaite créature qu’est l’humain peut bien connaître de la perfection? C’est une licorne, c’est un rêve, c’est un leurre. On a le droit d’être préservé-e précieusement même dans notre imperfection. Je souhaite explorer comment l’imperfection devient réappropriation de soi.









